mercredi 20 juillet 2016

Aidants de victimes d'agression, mode d'emploi - 1




Attention à ce qu'il ne devienne pas Pyromane...

Depuis quelque temps tourne un petit mode d'emploi à l'usage des proches de victimes d'agression sexuelle. J'aimerais y ajouter et développer mes propres recommandations et observations, modeste complément à ce chouette travail. Cela se fera en plusieurs articles, histoire d'être plus digeste.


Va porter plainte ! Ou quand le bon sens apparent peut devenir une injonction méprisante.

Porter plainte pour viol ou agression est une lourde décision. Elle n'est ni si évidente qu'il semble, ni dépourvue de conséquences, potentielles comme inévitables, à peser soigneusement. Je suis vraiment désolée de briser une idée reçue tenace dans l'esprit de quelques personnes mais la justice française est un peu en sale état et lui faire une confiance aveugle est un pari hautement risqué. Et au-delà de ça, entamer une telle procédure requiert des forces qu'une victime n'a pas forcément en stock ou a envie de dépenser autrement.

Porter plainte, c'est d'abord accepter de devoir solliciter sa mémoire et, peut-être, revivre le traumatisme, pour pouvoir faire sa déposition à la police ou son courrier au procureur. Il faut être précis, rentrer dans les détails les plus sordides. Ça c'est l'écueil de base, mais il n'est pas rare que l'OPJ, quand c'est au commissariat que vous vous rendez, insiste sur des points assez peu pertinents mais qui ont de quoi vous mettre sacrément mal à l'aise : votre tenue vestimentaire lors des faits, votre vie sexuelle. Il arrive aussi que des remarques déplacées fusent, sur l'opportunité de sortir le soir quand on est une femme par exemple, ou le fait de ne pas vous être défendue.. Bref, un tas d'inepties qui n'ont pas lieu d'être et compliquent singulièrement l'épreuve du dépôt de plainte.

Ensuite, la procédure suit son cours, généralement au rythme de promenade d'un poulet borgne et unijambiste (quand elle ne s'interrompt pas prématurément à la suite d'un classement sans suite ou d'un non-lieu) Ce n'est pas forcément la faute des intervenants du milieu judiciaires, au passage : les tribunaux sont engorgés, la police est extrêmement sollicitée... bref, ça foire assez vite sans volonté de nuisance derrière. Alors imaginez quand la culture du viol s'en mêle ! Et non, ce n'est pas rare. Je ne vais pas vous citer des exemples en nombre dans cet article, bien des témoignages sont accessibles sur le sujet et il est probable que je m'étende là-dessus plus tard. Juste... je ne résiste pas à vous présenter la question que m'a posée le juge lors d'une audience de viol correctionnalisé où j'étais victime et partie civile1 : « Est-ce aussi grave de violer une personne handicapée qu'une personne normale? ». Voilà voilà !

Mais allons plus loin et imaginons un instant un monde où la justice fonctionne sans aucun heurt et est uniquement tenue par des gens bienveillants. Recourir à elle n'en serait pas pour autant une aimable promenade de santé. Se retrouver confronté à son agresseur, entendre ses excuses, ses mensonges, ou même ses aveux... ça demande pas mal de ressources. Et ces ressources, tout le monde ne les a pas ou ne souhaite pas les investir dans cette bataille-là. Sans compter que quelle que soit l'énergie qu'on met dans un combat judiciaire, on peut le perdre.
Tout ça pour dire que non, porter plainte n'est ni simple, ni une obligation morale. Et contrairement à ce qu'on entend parfois, ce n'est pas non plus le seul ou le meilleur passeport pour aller mieux. C'est un choix, avec ses conséquences, bénéfiques comme négatives.
Parce que oui, malgré tout ce que je viens de raconter, de bonnes choses peuvent découler d'une plainte. Cela peut officialiser son statut de victime d'un préjudice, lui apporter une protection ou briser le silence dans un groupe ou une famille dans lesquels peuvent sévir des bourreaux... je ne vais pas ici retracer toutes les bonnes raisons qu'on peut avoir de porter plainte puisque mon but aujourd'hui est de montrer que ce n'est pas toujours et pour tout le monde la voie à suivre, mais elles existent. Oserais-je radoter en disant que c'est à la personne concernée de voir ce qui lui semble le mieux pour elle ?

Que faire face à une victime qui se pose la question d'un dépôt de plainte ?
  • Respecter son espace de réflexion sur le sujet sans lui présenter d'injonctions ni lui imposer « ce qu'on ferait à sa place »
  • La rassurer sur le soutien qu'on lui apportera face aux difficultés qui surviendront lors de cette démarche
  • Lui présenter factuellement les étapes qui jalonneront son parcours.
  • Lui rappeler qu'elle est victime et a le droit de faire valoir ce statut.


« Pourquoi ne t'es tu pas défendue ? », la question qui fait mal...

Précisons d'abord que face à une agression sexuelle, tout le monde n'a pas l'entière maîtrise de ses émotions ou de son corps à disposition (euphémisme mon amour)

Le phénomène de sidération, vous connaissez ? Non ? Laissez-moi vous en toucher un mot : Il s'agit d'un état où cerveau et corps se mettent en grève face à une situation traumatisante, et font échec à toute possibilité d'y réagir par un mécanisme de défense adapté. Autrement dit, vous êtes juste incapable de réagir de manière appropriée à ce qui est en train de se dérouler, parce que le choc qu'encaisse votre esprit est juste trop fort. C'est un peu comparable à un coup de massue sur le crâne : rares sont ceux qui conservent tous leurs moyens après un tel assaut.

Les gens semblent souvent considérer le viol comme une agression essentiellement physique, un peu comme un tabassage d'un genre particulier. Mais si le droit a distingué cet acte comme un crime, c'est bien parce qu'il existe une dimension supplémentaire dans son exécution. Le viol, c'est avant tout l'effraction de la volonté d'autrui, la recherche d'un pouvoir sur la victime. Et la violence physique n'en est qu'une composante : la peur générée, les menaces, ou l'emprise psychologique sont d'autres moteurs au moins aussi importants en général. Et confrontée à ça, la victime peut se retrouver contrainte à subir plutôt que de risquer des dommages, corporels ou autres, plus graves.

Et puis, au fond, quelle est la vraie question : en admettant qu'une personne ait accès à toutes ses capacités au moment où elle s'est retrouvée confrontée à son agresseur, que doit-on mesurer pour valider son statut de victime ? Sa motivation à se débattre ? Son efficacité dans la défense ? N'est-on plus fondé à se plaindre si on n'a pas su trouver les bons gestes, la bonne parade ? Et de quel droit, n'ayant pas subi les faits, peut-on arbitrer ses réactions ?
Et non, avoir par le passé subi quelque chose de similaire ne donne pas licence pour estimer ce que la victime présente pouvait/devait faire lors de sa propre agression. Il n'est pas inutile de se rappeler que les forces et faiblesses diffèrent chez chaque personne et que deux situations, pour si ressemblantes qu'elles paraissent, ne peuvent être strictement identiques. Comme on dit, la critique est aisée, l'art difficile.

Que va ressentir une victime d'agression sexuelle face à des reproches sur ses réactions lors des faits ? Vous vous doutez bien que ce ne sera pas pris avec joie et bonne humeur. Elle a mal, et déjà on vient lui remettre a responsabilité de ce qui lui est arrivé entre les mains. Au final, on ne la prend pas en compte sinon pour lui faire sentir que le viol subi aurait pu être évité si elle avait fait « ce qu'il faut ». Or c'est assez instinctif de se culpabiliser allègrement après un viol. Le but d'une personne aidante est... d'aider. Non de renforcer ce mécanisme d'autodestruction.

Que faire face à une victime qui vous raconte ce qu'elle a subi ?
  • Respecter sa façon d'aborder le récit, ne pas la brusquer ni montrer d'impatience. C'est son histoire, sa façon de raconter.
  • Eviter les questions qui peuvent blesser, les conseils hors-sujet ou inapplicables, les « si ça avait été moi », etc... Si ça avait été vous, ce serait une autre situation, tout simplement. Et comme les faits sont passés, on ne peut hélas pas les réécrire.
  • Au contraire, rappeler à la victime que le seul coupable dans l'affaire est son agresseur, et que face à un événement aussi violent et traumatisant, on n'est pas tenu de réagir avec un sang-froid impeccable.


Je vous laisse pour le moment avec ce premier article d'une série qui sera sans doute un peu longue elle aussi... Avis, réflexions et questions bienvenus !


1 Pour ceux qui ne sont pas familiers avec certains termes du vocabulaire juridique : la correctionnalisation est le fait de déqualifier un crime en délit (ici le viol en « simple » agression sexuelle ) pour que les faits soient jugés en audience correctionnelle, au lieu d'atterrir aux assises. Je ferai un article sur les conséquences de ce charmant tour de passe-passe, un jour.
Quant à la partie civile d'un procès, souvent la victime directe elle-même, parfois ses proches ou des associations, il s'agit de la partie au procès qui est là pour demander réparation de l'acte jugé. Euh... suis-je claire ? Sinon, bah Google, tout ça...

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